Gerrard, dernier bastion d’une époque révolue

Hormis la validation officielle des titres du Barca et du PSG, les satellites de la planète foot européenne avaient les antennes rivées sur une petite ville ouvrière du Nord de l’Angleterre bordée par la Mersey. En ce Samedi 16 Mai 2015 dans le mythique mausolée footballistique d’Anfield Road, le « Captain Legend » Steven Gerrard a fait ses adieux à ses frères d’armes Scousers après 17 années consacrées à son premier amour, le club aux 18 titres de champion d’Angleterre. Chiffre que l’enfant chéri de la région ne sera jamais parvenu à faire évoluer, malgré une ribambelle de trophées et des saisons de très haut niveau. Mais l’essentiel était ailleurs dans cette journée durant laquelle l’émotion a supplanté l’aspect sportif. Et si ce Liverpool-Crystal Palace fut le théâtre du départ d’un des derniers grands joueurs mariés à l’amour du maillot. Décryptage.

20h25. Coup de sifflet final. Liverpool s’incline pour son dernier match à domicile 1-3 face à une redoutable équipe de Crystal Palace. Un scénario plutôt inattendu qui a contraint le numéro 8 des Reds à disputer l’intégralité de la rencontre, durant laquelle il ne parviendra pas à inscrire un 70e et dernier but à Anfield. Mais l’essentiel était ailleurs : les 45 000 privilégiés présents sont venus consacrer une dernière fois l’empereur Scouser, celui que nous aurions pu surnommer le « cinquième Beatles » si les livres du football n’avait pas déjà accordé ce surnom à une autre légende du football britannique : George Best, popstar du rival honni Manchester United.

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Mais passées l’émotion et toute la dimension symbolique de cette dernière représentation de l’artiste affectueusement appelé « le putain de dur » par les membres du Kop d’Anfield, nous pouvons nous demander si les aficionados du ballon rond n’ont pas assisté au retrait de l’un des derniers ovnis du football moderne. Gerrard, comme Totti ou Schweinsteiger font partie de la poignée de joueurs de classe mondiale à n’avoir joué que dans un seul club auquel ils ont juré fidélité. Et même si Stevie G se dirige vers les Los Angeles Galaxy, il restera pour toujours le joueur de la tunique rouge frappée du « Liverbird », logo de l’institution. Ce départ est le fruit d’un commun accord raisonné pour un joueur qui à 34 ans, ne possède plus les jambes de la décennie précédente et qui préfère migrer vers une dernière contrée de «football plaisir » avant de faire la saison de trop, tare d’une copie presque parfaite.

Changement de cap

Avec la renégociation des droits TV pour un montant record de 7 milliards d’euros effectif dès la saison prochaine ainsi que des apports de capitaux de plus en plus mondialisés (Cheikh Mansour à City, Stan Kroenke à Arsenal Glazer à Man U), l’ obligation de résultats se fait toujours plus pressante pour un football anglais vacillant à l’échelle continentale.
Avec toutes ces logiques ne favorisant pas la stabilité et l’attachement affectif à l’institution que peut représenter un grand club, il est légitime de se demander si la génération actuelle sera pourvoyeuse de joueurs à l’aura et à la trajectoire de Gerrard ou de Totti. Plusieurs éléments de réponse possibles. Développons en quelques uns. L’un des critères à prendre en compte sera celui de la formation, et plus particulièrement de joueurs locaux ou attachés affectueusement à la tunique pour laquelle ils défendent les couleurs. Nous pouvons penser à Jack Wilshere, enfant de Stevenage, bourgade située à une cinquantaine de bornes du Nord de Londres. Le numéro 10 des Gunners avait déclaré il y a quatre ans : « Je promets de rester à Arsenal pour toujours ». Et malgré les sirènes de Manchester City qui aurait formulé une offre avoisinant les 35 Millions d’Euros pour s’attacher les services du milieu de terrain la saison prochaine, Wilshere réitère sa volonté de s’inscrire sur un projet à long terme avec le club londonien. Pour rester sur Arsenal, club ayant connu des Tony Adams ou des Martin Keown, la tendance est plutôt au changement. Le modèle des « baby-gunners » laisse place au fil des saisons à des logiques de recrutement basées sur l’achat de joueurs confirmés à la fleur de l’âge et prêt à apporter des résultats immédiats, moyennement de gros émoluments (Ozil, Welbeck, Sanchez). A Manchester United, la logique d’intégration des pousses issues de la formation a connu ses limites cette saison (Blackett ou encore McNair).

Pour ce qui est de Chelsea et de City, inutile de dire qu’Abramovitch et le cheikh Mansour veulent claquer leurs pétrodollars pour ramener des superstars aux pédigrées clinquants. Avec ces nouvelles logiques de gestion économique, il est quasiment impossible d’avoir des joueurs issus du club parvenant à s’imposer très tôt pour rester de longues années. Aujourd’hui dans ce type de club, un jeune prometteur est prêté de nombreuses saisons dans les clubs voisins avant de revenir pour essayer de s’imposer ou de définitivement quitter l’équipe (Micah Richards et Negredo du côté des Citizens ou encore Chelsea qui prête prés d’une vingtaine de joueurs aux quatre coins de l’Europe dont Moses, Salah et Marin). La plupart de ces joueurs ne s’imposeront probablement jamais chez ces cadors anglais mais seront achetés à d’autres clubs moyennant une opération financière très intéressante, amortissant les risques pris sur les gros transferts.

L’Olympique Lyonnais cette saison fait office d’exception, avec une équipe type composée en majorité de joueurs issus du crû de Tola Vologe et qui a failli ravir le titre de champion de France au conglomérat parisien dirigé par la surpuissance qatarie.

Gerrard, exception confirmant la beauté du football

Chauvinisme oblige, finissons ce rapide tour de carte du côté de la France. Pour le futur mercato estival, un joueur cristallise toutes les convoitises et la démesure des chiffres accompagnant ce football du XXIe siècle de tous les excès. Nous voulons bien sur parler de Paul Pogba. Le natif de Lagny sur Marne en région parisienne a refusé une offre du PSG lui promettant un salaire annuel de 15 millions d’euros et de devenir une icône nationale et régionale. Pas assez selon son agent, le très vénal Mino Raiola.

Je suis dévasté de ne plus pouvoir jouer devant mon public

Mais le football de 2015 est aux antipodes de celui du 5 Novembre 1997, jour de la signature d’un certain Steven Gerrard à Liverpool. Et malgré des offres mirobolantes de Chelsea et du Réal Madrid au milieu des années 2000 qui lui auraient permis de glaner un titre de championnat national manquant à son palmarès, l’enfant de la Mersey a refusé ces offres de peur de ne plus pouvoir marcher sereinement dans les rues de Liverpool. Et 17 ans, une dizaine de trophées et de millions amassés plus tard, Gerrard déclare être dévasté de ne plus pouvoir jouer pour le meilleur public du monde.

Une conception romantique du football probablement disparue pour bien longtemps. Contrairement au slogan de son club éternel, Gerrard fût l’un des seuls à marcher vers cette trajectoire de carrière, durant laquelle l’émotionnel et l’amour porté à un club mythique du patrimoine anglais auront pris le pas sur les logiques dominant le football d’aujourd’hui.

Merci Steve.

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Walid Kachour

Twitter : @WalidKachour

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