ABI-HENRY : HUIT ANS DE DESTINS CROISES

Cette semaine synonyme de début des vacances de fêtes de fin d’année est aussi synonyme de nostalgie d’un football français peut être définitivement révolu. Ce vendredi, soit 72H après l’annonce officielle de la retraite de Thierry Henry, c’est un autre des derniers grands noms confirmés du ballon rond hexagonal qui se retire. Eric Abidal, 35 ans a lui aussi annonce son retrait de la scène sportive. Même si peu de choses semblent les associer au départ, ces deux géants de notre football ont connu des trajectoires présentant beaucoup de similitudes lors de ces huit dernières saisons, durant lesquelles foot et humanité furent au cœur du jeu. Récit.

  • 2006 : ON VIT ENSEMBLE, ON MEURT ENSEMBLE

france 2006

Les deux joueurs aux origines martiniquaises, leur premier point commun de naissance, firent partie des 23 sélectionnés par Raymond Domenech pour la coupe du monde en Allemagne. Les Bleus se sont qualifiés difficilement à ce 18e mondial . Qualifications qui auront vu l’inattendu retour de Zidane qui a donné cette phrase mythique de l’ex numéro 14 des Gunners : « Dieu est de retour » Abidal n’aura paradoxalement joué aucun match des éliminatoires à ce mondial. Mais sortant d’une grosse saison avec Lyon, le latéral occupera une place de choix dans ce mondial aux débuts poussifs qui verra la nation frappée du coq se qualifier lors du dernier match de poule au profit d’une victoire poussive face au Togo. La France se coltinera le présumé épouvantail de la compétition, l’Espagne qui sortait d’une phase de poule tonitruante et que l’on annonçait précocement comme candidat au titre. Quelques mois après son compère, c’est au tour d’Abidal de lancer la phrase choc en conférence de presse quelques heures avant le match : «  L’Espagne a des joueurs techniques, mais nous on a Zidane, eux ils l’ont pas ». La suite, tout le monde la connaît, 3-1 pour les Bleus avec un ultime but de….Zidane et un énorme match de toute l ‘équipe. Les Bleus échoueront en Finale.mais avec trois minuscules buts encaissés, dont deux dans le jeu, Le quatuor Abidal, Thuram, Gallas, Sagnol (bien épaulé par la paire Maké-Vieira) finira comme l’une des meilleures défenses de la compétition, qui plus est en ayant disputé les 7 matchs promis au finaliste ou au vainqueur. Henry lui sera avec 3 unités, dont le but décisif contre le Brésil sur l’unique passe décisive de Zidane au natif des Ulis (0-1) le meilleur buteur des Bleus à l’issue de la compétition. Le King d’Highbury sera même retenu dans le onze type du tournoi. Tandis qu’Abidal aura effectué un mondial monstrueux, comme l’ensemble de cette nation cru 2006, mais dans l’ombre et la discrétion.

Dieu est de retour – T.Henry

Nous on a Zidane…-E.Abidal

  • 2007-2010 : LA RAZZIA CATALANE

abidal henry barca

Henry effectuera une dernière saison à Arsenal, la première de l’ère Emirates Stadium. Après avoir marqué le dernier but de l’histoire des 93 années d’Highbury, pour un triplé et une victoire pleine d’émotion contre Wigan (4-2). Malgré une saison en demi-teinte marquée par les blessures récurrentes à l’aine ou encore au dos (Il se soignera aux cellules souches de sa jeune fille pour récupérer plus rapidement), Henry parviendra à convertir 10 buts en 17 petits matchs joués. Cette saison mitigée verra l’ancien Roi d’Highbury partir vers le FC Barcelone. Le départ de David Dein aurait influencé son choix, ainsi qu’un futur sportif incertain avec Arsène Wenger. Le natif des Ulis arrivera la même saison que celle de son ami Abi  qui aura tout raflé ou presque, avec Lyon : 2007-2008. Et quelle saison…ratée. Surtout pour un club de cette envergure. Une troisième place en Liga, derrière le Réal et….Villaréal, une demi-finale de Ligue des Champions, ce qui pour 95% des clubs européens serait une superbe performance. Un zéro pointé donc. Mais les deux compères se rattraperont et de quelle manière la saison suivante qui voit la fin d’une ère, celle des Rijkaard, Ronnie, Deco et consorts. Exit l’ancienne école qui a vu le Barca remporter la Ligue des Champions 2006, la première depuis 14 ans. Place à la filière maison, en la personne de Josep Sala Guardiola, ancienne légende made in Masià et qui va révolutionner la footosphère et notamment tous les services statistiques de la Liga et de l’UEFA : des matchs à plus de 70% de possession, plus de 600 passes par matchs, 3 à 4 buts en moyenne/match sur l’ensemble de la saison pour ne citer que ces chiffres. Et la recette ne va pas tarder à se montrer payante, puisque Henry, Abidal et les autres réaliseront une performance encore jamais rééditée : le sextuplé sur la saison 2008-2009 (Liga, Coupe Du Roi, Ligue Des Champions, Supercoupe D’Europe, Supercoupe d’Espagne, Mondial des Clubs). Saison durant laquelle Henry aura claqué 12 buts et délivré 9 passes décisives en 30 matchs dans un poste d’ailier gauche bien différent du rôle occupé à Londres Nord. Et en C1, les stats seront tout aussi épaisses : 12 matchs , 6 buts et 4 passes décisives d’une saison qui verra Messi, en partie grâce à Henry, s’asseoir sur la pyramide du football mondial. Saison qui verra le Barca finir meilleur défense, avec seulement 35 buts encaissés, ce qui est une prouesse dans un championnat ou les attaques s’expriment et dans un club ou le talon d’Achille est bien souvent la défense. Abidal disputera 25 matchs, malgré une blessure handicapante au ménisque. Après avoir touché le firmament, les deux compères pouvaient au mieux rééditer cette performance ou faire un peu moins bien : option 2 avec « seulement » une Liga remportée cette année là. Mais si la chute se résumait à une simple diète de trophées avec le Barca…

  • 2010 : PLUS ON S’ÉLÈVE, ET PLUS DURE SERA LA CHUTE…

France - Reconnaissance Green Point Stadium

Il faut aller à des milliers de kilomètres pour voir les deux compères, jusqu’alors au sommet de leur art, sombrer dans le marasme le plus retentissant de l’histoire du foot français. Nous parlons bien sur de l’affaire Knysna dont Henry sera le symbole le plus criant de l’impuissance et du manque de leadership. C’est un fait, Domenech l’a retenu au dernier moment, plus pour que l’attaquant dispute une quatrième phase finale de suite que pour lui donner un rôle prépondérant d’ancien guidant le reste de la troupe bleue. Un quart d’heure pour le terne nul contre l’Albiceleste (0-0). Sur le banc lors du naufrage final mexicain (0-2) (affaire Anelka, L’Équipe et début du délitement général) et une triste demi-heure lors du coup de massue final contre l’Afrique du Sud. 45 minutes et puis s’en va. Abidal lui aussi traversera ce mondial cauchemardesque comme le spectre du joueur de 2006 qui en faisait l’un des meilleurs arrières au monde. Replacé en charnière, il concèdera le pénalty qui enterra les ultimes illusions françaises au Mexique, celui du 2-0. Il ne jouera pas une minute lors du dernier match de poule, comportant pourtant un mince enjeu de qualification pour les huitièmes. S’en suivra le tapage médiatique, la mutinerie de la honte et les sanctions infligées par la FFF auxquelles Abidal et Henry échapperont. Henry lui quitte la scène internationale lors d’une dernière représentation indigne de sa classe et de son apport au football mondial, lui qui a révolutionné le poste d’avant centre moderne. Ces deux joueurs sont surement ceux, qui, parmi les cadres, n’auraient jamais lancé une telle entreprise d’auto-démolition de la sélection en pleine compétition, au vu de leur professionnalisme et de leur attachement au maillot frappé du coq. Mais les coupable sont peut être ailleurs : Domenech n’aurait probablement pas du retenir un Henry très souvent blessé dans la saison. Mais il faut se rappeler que la qualif’ pour ce mondial a été obtenue en barrages grâce au fameux but de Gallas accompagné d’une main d’Henry qu’on a enfoncé au lieu de protéger, comme il en a été pour Maradona qu’on a consacré en devin après sa mimine en 1986. Triste clap de fin. Pour Abidal, le meilleur est passé.

  • 2010-2014 : EXILS AUX FORTUNES DIVERSES

Thierry Henry Soccer

Henry plus prophète en son pays s’exilera aux États Unis, pays pour lequel il a toujours eu un petit faible. Il choisira la franchise des New York Red Bulls avec laquelle il jouera quatre saisons. Il finira premier de la conférence Est en 2010 et remportera le trophée de la meilleure formation de saison régulière à deux reprises en 2010 et 2013 .Durant cette même année, il glanera l’ESPY Award du meilleur joueur de la MLS. Mais malgré quelques buts d’exception et des statistiques encore au dessus de la moyenne, il ne parviendra pas à remporter le championnat à l’issue des play-offs. Abidal lui connaitra entre temps des heures encore plus sombres, et reviendra sur les terrains avec le Barca sans jamais retrouver son niveau qui avait fait du natif de Saint Genis-Laval un titulaire incontesté. Il imitera son ancien coéquipier, en prenant lui aussi la voie de l’exil, cette fois ci du côté de la Grèce, en rejoignant l’Olympiakos en début de saison, après un retour en demi-teinte dans la maison monégasque qui l’aura vu naitre et avec qui il aura attrapé une 2e place derrière l’intouchable PSG cuvée 2013-2014. Un challenge intéressant pour un club habitué des joutes européennes et qui a bataillé jusqu’à la dernière minute pour une place en huitièmes de l’actuelle Champions League, dans un groupe pourtant relevé avec les présences des deux épouvantails Juventus et Atlético Madrid. Le club du Pirée n’obtiendra finalement que la 3e place synonyme d’Europa League avec 9 points. Et malgré une saison de Super League grecque bien entamée ou l’Olympiakos pointe à la deuxième place à un point du leader, le PAOK Salonique, Abi a décidé de raccrocher les crampons après un exil qui s’est plus apparenté à un dernier désir du jeu, et des sensations procurées par le simple bonheur de humer la pelouse en étant en bonne santé. Car ceci relève déjà du « Miracle Abidal ». L’Olympiakos fût le dernier plaisir du gourmand. Gâterie que le numéro 22 éternel du FC Barcelone n’aurait pu se permettre dans un club devenu trop exigeant pour ses capacités physiques restantes suite à la terrible épreuve qu’il a traversé. En cela, il s’agit déjà une victoire qui ne se limite pas aux traditionnels trois points.

abi grece

  • DÉCEMBRE 2014 : RETRAITE ET HÉRITAGE

L’heure de la retraite a donc sonné pour ces deux géants, une semaine froide et pluvieuse de Décembre 2014. Il y a encore un peu moins de trois ans, Henry effectuait en prêt un retour express à Arsenal digne des plus grands contes de fées, en inscrivant trois buts dont ceux de la victoire en Cup contre Leeds (1-0) peu de temps après son entrée en jeu et contre Sunderland en PL (but du 1-2 dans les derniers instants). Dernière parenthèse enchantée d’une carrière hors norme, qui l’aura consacré meilleur joueur de l’histoire d’Arsenal et meilleur étranger de l’histoire de la Ligue Anglaise. The Telegraph le placera comme le 2e meilleur joueur de l’histoire de la Premier League derrière Ryan Giggs. Il est dans le cercle très élitiste des « champions du monde et meilleur buteur de sélection » (en bonne compagnie, de Pelé et Bobby Charlton notamment)
Mais ce n’est peut être pas toutes ces statistiques déroutantes qu’il faut retenir. Mais toute la symbolique humaniste qui découle de ce parcours croisé entre deux joueurs opposés par le style, le poste occupé et la trajectoire prise par leurs carrières respectives. Car comme nous le savons tous, Eric Abidal fut atteint d’une tumeur au foie en Mars 2011. Une épée de Damoclès autour de laquelle le Barca a montré que sa devise « Mes Que Un Club » (Plus qu’un club) n’était pas qu’une simple arme marketing mais une pure réalité. Comme le montre cette idée des Socios, qui à la 22e minute (en hommage à son numéro) de chaque match, applaudissait en soutien à celui qu’ils aiment appeler affectueusement « Abi ». Comme l’un des nombreux miracles dont seul le foot possède le secret, Abidal reviendra à la compétition un soir de demi-finale de Ligue des Champions, soit moins de deux mois après son intervention. Et l’histoire qui n’était pas encore assez belle, voudra que Barcelone gagne cette édition face à Manchester United. L’ex probable retraité débutera le match comme titulaire et soulèvera le trophée en premier. Il effectuera un an plus tard une rechute qui le poussera à une greffe, avec comme donneur son cousin. Henry très proche de son ex-coéquipier viendra le voir à plusieurs reprises à la clinique « L’Hospital » de Barcelone, pour le soutenir dans cette terrible épreuve. Nous pourrions aujourd’hui parler de ce joueur au passé. Mais le destin et le soutien indéfectible de la planète foot et de ses proches ont surement aidé ce joueur profondément humain. Abidal, c’est celui qui payait ses restaurants lorsqu’il était à Lyon à tous ses coéquipiers. C’est aussi celui qui invitait des coéquipiers à la maison pour souder l’équipe.

abidal maladie
Et pour l’anecdote, lorsque celui-ci jouait à Lille, c’est bien le même Eric Abidal mais bien moins illustre, qui a payé la caution de son ami de banlieue rhodanienne tombé dans la délinquance afin qu’il évite la case prison. Un grand joueur, mais un grand être humain avant tout. Comme quoi il y a une morale, pas toujours vrerifiée sur un terrain. Mais le grand rectangle vert qu’est la vie de tous les jours, lui, a donné justice à Abidal, à défaut d’avoir eu une fin de carrière à la hauteur de sa grandeur humaine. Justice à moitié rétablie pour un joueur hors norme au parcours unique.

Dans les moments de grâce connus en Catalogne comme dans les moments de doute où le simple trophée était le bonheur de se retrouver en vie et en bonne santé, Henry et Abi se sont toujours soutenus mutuellement.

Au plus grand bonheur de nos cœurs, et de nos yeux amateurs de beau jeu.

Thierry Henry, Eric Abidal

Walid Kachour (@WalidKachour – Total-Futbol.com)